D'un artiste à l'autre : emparez-vous de ces outils !

Par Joséphine et Anaïs - Jour 3

En quoi la performance filmique donne une nouvelle investigation du texte ?


Dans l'écriture de Falk Richter, on retrouver deux dimensions importantes reprises dans Nobody : la musique et le cinéma. Ces derniers sont les points de contact entre Falk Richter et Cyril Teste. Il perçoit dans l'écriture de Richter une partition de musique qui est à retranscrire, elle est intuitive. Le fait qu'il soit de la même génération que lui, l'attire. C'est un artiste post-dramatique, quelqu'un de pop, "un auteur glamour". Richter a "une écriture qui séduit", un architecture et un design propres. Cet auteur pratique l'écriture de plateau, il répète avec les acteurs puis reprend le texte. L'écriture est passée en bouche avant d'être publiée. Cela change la donne sur le rythme, c'est vivant. Richter est avant tout un metteur en scène, un traducteur. Il n'a pas peur de plagier et de s'auto-plagier. On comprend mieux alors sa pratique d'écriture du copier-coller. Cyril Teste cite à juste titre Paul Valéry qui disait qu'il n'y avait "rien de plus original, rien de plus soi-même que de se nourrir des autres". C'est justement par Internet qu'il s'est fait connaître en donnant gratuitement ses textes. 


Les questions de société résonnent pour Richter et Teste. Comment faire un théâtre manifeste, politique aujourd'hui ? Comment on utilise un langage de manière inconsciente ? Il ne faut pas oublier que le théâtre politique appartient au système. Richter a bien conscience de cela. C'est pourquoi il ne montre pas du doigt pour dénoncer puisqu'il en fait partie. Il ne se prend pas pour quelqu'un de plus intelligent car le monde le remplit. Les héros font partie de la foule, ceux qui regardent le monde d'en haut font partie des mêmes problématiques. Les questions des nouveaux modèles de communication se posent, c'est quelqu'un de connecté, il n'en est pas victime. Il a conscience de ce qu'est le GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple) mais les utilise dans son travail. Les outils ne sont pas bien dès lors qu'on les utilise mal. Une critique sur l'inertie que la société nous donne aujourd'hui, est véhiculée. Les personnages ont envie de s'extraire mais ce n'est pas le but premier de Richter, de trouver une porte de sortie, mais il s'agit bien d'observer. Il faut être dedans, poser son sujet et le laisser exister : "plus on observe, plus on agit". Par exemple, Nobody ne cautionne pas le benchmarking qui est une technique de marketing pour s'améliorer en faisant des études et des analyses des meilleures pratiques déjà existantes. Cependant il ne nous invite pas à y participer mais à essayer de comprendre ce fonctionnement. 

Cyril Teste essaie de trouver un souffle autrement dans une ère nouvelle. Nobody est le regroupement de plusieurs textes. Il réécrit sur les matériaux de Richter. Utiliser de l'image et du cinéma sur le plateau comme il le faut est actuel. 


Comment retranscrire le double regard ? 


L'exemple de la baie vitrée dans Nobody permet de montrer que ce n'est pas le matériau qui fait le voyeurisme mais ce que l'on met derrière. L'espace hors-champ est essentiel ; c'est une notion importante pour Cyril Teste. Dans les médias, il n'y a plus de hors-champ par rapport au contenu qu'ils transmettent. Il faut travailler à l'envers de ça. Comme les spectateurs, les acteurs de Nobody regardent également à travers une vitre. Nobody est un long-métrage en temps réel sauf qu'à des moments ont peut créer du hors-champ. Dans les décors que l'on ne perçoit pas, il y a toujours des acteurs en train de travailler même si ce n'est pas filmé. Ceux qui ont le pouvoir sont ceux qui ont la fiction, on sait où se situe le virtuel mais pas la fiction. Il faut regarder celles qui sont contemporaines et en proposer d'autres, percevoir comment on place les nouveaux outils dans nos fictions. Ils sont deux domaines à faire ça : les acteurs et les hommes politiques. Il faut représenter ce que nous sommes aujourd'hui dans la pluralité. Le pouvoir de l'image c'est le temps avant tout. L'important c'est de savoir que les outils sont un schéma qui structure la vie et modèle le corps. Comment à travers ça, je vais trouver ma propre liberté. L'outil détermine la façon d'écrire. Il faut mettre le spectateur dans l'obligation de poser le regard sur la scène. Renforcement du quatrième mur. Le spectateur a un travail à faire quand il vient au théâtre, ce n'est pas comme la télévision. Porosité. Il faut questionner l'architecture comme une porosité. Les acteurs sont poreux dans leur jeu entre le cinéma et le théâtre dans Nobody. Dans le cinéma il y a une seule vision du sujet, alors qu'au théâtre, on s'extrait de ce totalitarisme. La première des choses par laquelle le spectateur est happé, c'est l'image, puis il va apprendre à équilibrer son regard, à errer sur le plateau. 1h35 : les acteurs incarnent leurs rôles, pendant ce temps-là, même si la caméra est ailleurs, ils continuent de jouer. Cela amène une autre énergie. 


Cyril Teste nous a permis de réfléchir aux sujets de société présents et futurs. Les artistes sont, selon lui, les maîtres des fictions à venir, dans lesquelles les nouveaux outils numériques sont un enjeu crucial : ceux qui ont le pouvoir, sont ceux qui possèdent la fiction. 





Anne Serre

Rencontre présentée par Alix Mary
Enregistrement par Noémie, photos par Blandine

Après une plongée dans l’univers imaginaire, haut en couleurs d’Anne Serre, découvrez, pour finir la journée en beauté, le Bruit de sa Langue, dans un texte inédit, écrit spécialement pour le festival !









Faites du bruit #3

L'oreille casquée et le stylo en alerte, tout au long de la journée, j'amasse le son des mots, les bruits des langues, et l'à-côté des LiMès. Des éclats de festival qui s'accrochent et restent en tête. Noémie à l'écriture et à la voix, assistée par Gwendoline pour le support technique et intellectuel. 
Merci au Yeux d'Izo pour les finitions.


Littérature : art vivant

Par Isaline et Anaïs - Jour 2

Rencontres avec...

... Cyril Bilbeaud, Marc Nammour, Serge Teyssot-Gay, Fred Griot, autour de la musique et de la littérature.


La littérature dans son cocon... déploie ses ailes dans l'art vivant !

Par Isaline et Anaïs - Jour 2

Rencontre avec...

... Delphine Saint-Raymond autour de la littérature, le chantsigne, et la Langue des Signes Française (LSF).


Comment passer du texte écrit aux signes ? Comment faire le passage d'une langue écrite à une langue visuelle ? Comment, par les signes, peut-on sensibiliser un public entendant, et comment faire passer un message fort ?
Dès son plus jeune âge, Delphine Saint-Raymond adore lire des romans ou encore la bibliothèque rose. Comédienne depuis douze ans, elle pratique également le chantsigne (chanter en LSF), art qui se développe depuis quelques années. Elle traduit des textes de Brassens, Léonora Miano, Giraudoux, Victor Hugo, etc... en LSF, ou en chantsigne.

Fan de Léonora Miano, elle décide de s'atteler à la traduction de plusieurs de ses textes.


Tâche ardue ! D'une langue à l'autre, il peut y avoir de grandes différences dans le sens, dans les implicites portés par un mot. De plus, l'interprétation d'un texte est parfois subjective ou peut donner lieu à plusieurs sens possibles, notamment dans la poésie. Comment rendre ces possibilités ? Delphine nous répond qu'il faut alors faire le choix d'un signe et que ce choix est difficile. En plus de l'analyse, il faut se laisser porter par la poésie corporelle pour ce choix.


Il est naturel pour elle d'être bilingue, de passer du français à la LSF, mais la LSF devient un outil de travail pour traduire des textes littéraires, il faut tout de même fournir un gros travail ! Travail qui s'affine au fil du temps, on laisse mûrir le texte et celui-ci nous délivre d'autres sens cachés. 

En LSF, on peut dire en montrant : 



  il y a une iconicité inhérente à la langue. Par la traduction, il s'agit de saisir ce qui a été dit, le transformer, faire des choix d'interprétation. On s'approprie alors le texte. Seulement parfois, le sens ne passe pas, il faut alors le changer pour le rendre compréhensible. 

Par ailleurs, une autre langue amène un autre mode de pensée, c'est d'autant plus vrai pour les langues des signes qui utilisent un autre mode de perception de la langue : visuel et non plus sonore, "on pense en image" dit Delphine. Ce changement de perception fait qu'une autre logique est en place à certains moments, la phrase en français se voit donc remaniée pour trouver une logique visuelle en LSF. 


Tout d'abord, Delphine fait une analyse profonde du texte. Puis elle le met en forme spécialement, se le réapproprie par une découpe qui vient du fait que les syntaxes sont différentes. Au sujet des rimes, tout est possible ! On peut les donner à voir par des redondances de mimiques, de configurations de la main, de mouvements du corps... Qui veut créer un groupe d'études sur cette question ?! 

Ensuite, comment choisir précisément les "images" pour traduire ? Traduire suppose d'être neutre, non ? En fait, il s'agit pour Delphine de trouver une image qui la rattache au texte, un écho à sa propre histoire. 


Il suffit de regarder une personne signer pour s'apercevoir immédiatement de la différence entre la langue des signes et la langue française. 

Delphine nous a rappelé la                froideur               que                pouvait                avoir                la langue française, le 


poids


de                                                               sa                                       l--i--n--é--a--r--i--t--é------

ce qui est à contre courant de la L
                                                                          S
                                                                               F. 

La distance qu'il peut y avoir entre deux personnes qui échangent, ne se retrouve pas dans la LSF car elle se véhicule par tout le corps, le visage est très expressif. La LSF est très chaleureuse, on se touche, on attrape les gens pour communiquer. Le corps et la langue forment un ensemble et c'est bien ce qui a charmé le public. 


La dimension visuelle peut être un point d'accroche pour les entendants, décrypter les signes et rentrer un peu dans cette langue. Il faut savoir que la manière de signer change selon les pays mais on arrive toujours à échanger. Passer d'une langue à une autre, requiert cependant un minimum de connaissances. Delphine a su s'approprier la littérature en performant les textes. La musique et le rythme sont dans sa tête lorsqu'elle chantsigne. Elle arrive à les transmettre aisément, le signe s'adapte au rythme et à la vitesse de la musique. Les mots ont un souffle nouveau. On a pu assister à une véritable renaissance dans cette interprétation destinée au public sourd mais qui enchante tout individu.